Belle journée à Kreuzberg. Ce n’était donc pas une légende, il y a bien un disque jaune dans le ciel. Quand il brille, il réchauffe la peau. Le ciel n’est pas toujours une couverture blanche, il est bleu parfois. On enfourche nos vélos et nous voilà a glisser à vingt centimètres du sol dans l’air tiède.
Körtestrasse est vide, presque estivale, Grimmstrasse joue aux sous-bois, Il y a encore de la place sur L’Admiralbrücke.
On trouve un carré d’herbe sur le bord du Landwher Kanal. Le dernier carré libre. On de la chance. Tranquilles dans le soleil. Puis je réalise que le guitariste, plus loin sur ma gauche, joue la même chose depuis une bonne demi heure, le blues en Mi du guitariste débutant. Sa version est lourde et bancale, il appuie bien sur la corde de Mi grave. Il est assis au bord l’eau et peu concentré sur ce qu’il joue, il cherche quelqu’un du regard dans la foule allongée, c’est sans doute pour ça que parfois il passe du 4/4 au 3/4 voire au n’importe quoi/4. Le temps fort faiblit puis passe à contretemps.
Assoupissement. Il est généré par le Mi,La, Si mineur 7 permanent, un peu comme on s’endort au petit matin, épuisé d’avoir luté toute la nuit contre un mal de dent, juste avant que le réveil ne sonne. Justement, le réveil sonne. Le BB king du Landwher Kanal est rejoint un autre guitariste. Un virtuose. Il a décidé de jouer vite, parce que lui ne débute pas. Je le vois là-bas, penché sur sa guitare. Il est tellement virtuose qu’il a décidé d’explorer la sphère harmonique en jouant un demi-ton au dessus de BB king.
Sur la serviette à côté, un couple s’isole avec leur iPod. D’autres bronzeurs blancs s’appuient sur les coudes, et lèvent la tête pour jeter des regards paralysants au duo. Sans succès.
Et là, c’est le drame. À droite, une jeune femme sort une autre guitare de sa housse. Sans perdre un instant, elle se lance dans un récital qui va de Joan Baez à une version très éthérée de Tanz Der Molekle de MIA. La pointe de vinaigre qui caractérise sa voix s’associe à l’acidité des harmonies des deux autres artistes. L’émail de mes dents s’écaille. Je me demande comment il se fait que ces trois troubadours ne s’entendent pas les uns, les autres. Est-ce une sorte d’autisme musicale?
Et là, il se met à pleuvoir. Les guitares n’aiment pas l’eau. Alors, elles sont précipitamment rangées dans leur housse. À l’abri d’un marronnier, on écoute les gouttes de pluie qui s’éclatent à la surface de l’eau.
J’adore Berlin. Surtout quand la pluie est pertinente.
Une réponse
Très joli billet, très pertinent lui aussi, moi j’étais à Wannsee, là on ne se disputait pas les carrés d’herbe et on écoutait les oiseaux siffler à perte d’oreille.