J’ai habité un temps dans un appartement loué par Werner, un vieil homme très antipathique. Pour commencer, il n’aimait pas les Français, il n’en voulait pas chez lui. C’est quelque chose qu’il avait clairement spécifié à l’ami Allemand qui me l’a présenté.
Le jour de notre rencontre, plutôt que de lui dire mon vrai nom, mon ami lui dit que je m’appelais Dieter Lage et que je venais d’Amsterdam. Le vieil homme était très maigre, il avait tant de peau qui flottait autour de son corps qu’il avait dû être obèse. Ses yeux, avec de lourdes poches, et son nez, fin comme un bec, le faisaient ressembler à un gros hibou, le genre de celui du Grüfello. Ses bras et ses jambes, longs et fins le situaient plutôt près du phasme. C’était un hibou phasmique ou un phasme strigide.
Il se tenait debout dans sa cuisine, très propre et bien rangée, et m’observait sans rien dire. Il se tourna vers mon ami et lui dit que j’avais l’air Français, ce à quoi je répondais “Nee, ik ben Nederlands”. La conversation continua sans qu’à aucun moment il ne s’adresse à moi. Les Français étaient méchants, ils étaient arrogants, et surtout, comme les Turcs et les Espagnols, ils sentaient l’ail! La manière dont il me regardait en reniflant, me fit penser que je n’aurais pas l’appartement.
Pourtant il nous fit monter au premier étage où se trouvait l’appartement, ouvrit la porte et nous fit rentrer.
C’était un saut dans le temps, les énormes meubles en bois sombre et brillant, du tissu épais vert à motifs floraux partout, sur les fauteuils, le sol, le lit, les meubles beiges de la cuisine, tout était si vieux qu’on se serait cru dans un musée d’art déco dans la section années 40 ou 50. Vieux mais très propre, presque neuf. Il flottait dans l’air une odeur lourde de briquettes, de cire, de talc et d’ambre.
Le propriétaire silencieux, droit, raide devant la porte, me surveillait en fronçant les sourcils. Son gilet était lui aussi vert à motifs floraux. Le loyer était tellement faible et je n’avais besoin de louer que pour deux mois, alors je décidais de le prendre. Il accepta, car, ce n’était que pour deux mois, mais comme il se méfiait des Hollandais, il demanda que le loyer fût payé d’avance depuis une banque Allemande.
Il passait les journées à la fenêtre de son salon, les bras croisés sur un coussin, légèrement penché en avant pour voir ce qui se passait dans la rue. Quand je passais devant sa porte, cela sentait l’oeuf et le paprika, ou le café bouilli. Parfois un petit carton remplie de bouteilles de Schnaps ou de Korn atendaient d’être jeté à la poubelle dans l’arrière-cour. En deux mois il ne m’adressa jamais la parole. Le jour de mon départ, il n’était pas là, je laissais les clés dans sa boîte aux lettres. Fin.
J’ai trouvé dans un carton éventré sur un trottoir de la Grenzallee, un vieux catalogue de meubles de la maison « Friedrich A. Flamme, sans doute imprimé après la deuxième guerre mondiale ou peut-être dans les années 50. Il sentait la briquette, la cire, le talc, l’ambre et l’oeuf au paprika, le café bouilli.
Et puis un jour dans Bergmannstraße…