Gilbert et George sont à Berlin. Ils ont recouvert les murs de l’église St. Matthäus d’une sélection tirée de leur série Scapegoating Pictures qui évoque les conflits sociaux et religieux ainsi que le fondamentalisme et le terrorisme.
5 raisons d’aller voir Scapegoating Pictures de Gilbert et George
1 – C’est gratuit
2 – C’est Gilbert et George
3 – C’est beaucoup de Gilbert et George gratuits d’un coup ( une vingtaine )
4 – Pour 1 € on monte au sommet du clocher de St. Matthäuspour voir Berlin d’en haut.
5 – On voit lavement des travaux de rénovation de la Neue National Galerie et on espère que le maître d’œuvre, n’est pas celui du nouvel aéroport de Berlin ou de la station de métro U7 de Südstern.
1 raison de ne pas y aller.
Peut-être que Gilbert et George s’épuisent un peu, car je trouve illisible leur discours sur le fondamentalisme et le terrorisme. Le fait que l’expo se fasse dans une église dans le cadre de “Luther und die Avant-Garde” n’y change rien, le message officiel est celui de tolérance, on se comprend, tout le monde s’aime, etc, mais j’ai eu beaucoup de mal à trouver un sens.
Comme pour Born in The purple à Bethanien, je finis par me demander si au XXIè, trop de religion dans l’art ne tue pas l’art.
Pour vous faire une idée voici des extraits d’une critique intéressante de Scapegoating Pictures lors de son passage à Paris en 2014.
Sur fond de guérilla civile, ou de chaos urbain, déambulent citadins anonymes, jeunes des cités, cyclistes furibonds, ou femmes en burkas le portable à la main. Les artistes Gilbert et George performent également les photographies, en devenant, à l’instar des bonbonnes de « hippy crack », une sorte de motif, organisant de manière compulsive la surface des images. Écrasé par le gigantisme des clichés, saisi par leur radicalité chromatique, on assiste, troublé, à la vision d’un quotidien qui s’affole, qui se délite dans sa cohérence, qui se pare de masques et de voiles, comme pour conjurer un sort.
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Arpentant les rues de l’Est End de Londres, le couple de septuagénaires produit une cartographie de son territoire en mutation, pénétrant l’imaginaire communau taire de leur quartier, traquant les phobies et les préjugés qui s’y immiscent au quotidien. De la forme au fond, les artistes composent un décor anxiogène et hilarant, dont les cartouches de gaz comprimé qui jalonnent le bitume londonien deviennent l’allégorie et la parodie : le présage d’une menace terroriste, la lente hallucination collective d’une société intoxiquée.
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Les rues du quartier de Spitafields prennent alors, sous le regard inquisiteur de Gilbert et George, les allures d’un laboratoire du contemporain, visant à capturer la schizophrénie ambiante.
Visiblement soucieux de la montée des extrêmes et d’une atmosphère séparatiste, les artistes traduisent les tensions entre une laïcité libertaire et un intégrisme islamique, perçus, au jour le jour, comme une menace réciproque.
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Facilement identifiable, assimilée sans nuance au soupçon fondamentaliste et au terrorisme, la figure de la femme voilée, devient cette image, consistante et d’une redoutable simplicité, qui hante l’imaginaire collectif. Parce que le voile introduit une « séparation », ainsi que l’origine biblique et juridique le stipule, qui « cache » en même temps qu’il montre de manière plus ostentatoire encore les signes de son appartenance religieuse, il est, selon les artistes, un dispositif « d’auto-ségrégation », la figure exemplaire du parfait bouc émissaire.
Lecture ambiguë, donc, que nous livre ce duo d’artiste mi-anarchiste mi-conservateur, pour qui, quoi qu’il advienne, il convient de lutter contre cette tendance proprement contemporaine qui, à défaut d’un ennemi tangible, cherche inlassablement à s’en fabriquer un.
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Alors on pourra objecter la dimension moralisante de leur production, le goût pour des images détonantes, spectaculaires, marquées par une communication sans nuance, à la limite d’un art de propagande. On pourra regretter, dans une posture mondaine, que leurs œuvres s’adressent, précisément, au « plus
grand nombre », se donnant immédiatement au sens, et laissant supposer de surcroît à une anesthésie générale, où tout se consomme et se consume. Pour autant, sous couvert d’un constat pour le moins pessimiste, les images de Gilbert et George favorisent au contraire une vision digérée et différée du système. il ne s’agit pas tant de chercher un sens caché derrière chaque image que d’accepter l’efficacité de la fiction qu’ils les supportent.
L’article originel dans la revue BRANDED